Face à un tel résultat, je me demande d’abord si nous ne sommes pas confrontés non à un rejet de la classe politique, mais bien à un rejet de la politique elle-même. Les électeurs de Donald Trump s’en sont remis à la pensée magique plutôt que d’accepter qu’en politique on surmonte les difficultés par la négociation. Encore récemment, Donald Trump affirmait qu’il allait doubler la croissance et relancer les aciéries aux Etats-Unis, deux choses qui sont tout simplement impossibles. Ses électeurs semblent avoir mordu à l’hameçon. Ces promesses intenables auxquelles certains choisissent de croire révèlent à quel point ces Américains dénient toute légitimité à l’autre, à leurs adversaires politiques. Ils sont incapables d’accepter que le pays soit divisé et uni à la fois.
Ce rejet de la politique me rappelle Les Deux Nations (Sybil, or The Two Nations, 1845), un roman écrit par celui qui allait devenir premier ministre britannique, Benjamin Disraeli (1804-1881). Il y décrivait l’Angleterre de la révolution industrielle, divisée entre deux nations qui se défiaient sans se comprendre : les riches et les pauvres. Il y avait alors un conflit entre une aristocratie décadente et une classe ouvrière montante. Le conflit s’est résolu par l’essor de la social-démocratie au tournant du XXe siècle, ce qui a permis la mise en place dans les années 1930 du New Deal aux Etats-Unis et du programme du Front populaire en France. Aujourd’hui, il y a un affrontement entre le 1 % des plus riches et les 99 % restants et nous nous enfonçons dans l’impasse parce que pour le moment aucun mouvement tiers, comme la social-démocratie, n’émerge.
Il faudra voir quelle politique Donald Trump mettra en œuvre. Mais, si l’on regarde son programme économique, on peut déjà voir qu’il entend soutenir le 1 %, comme le fait traditionnellement le parti républicain. Le conflit n’est donc pas près d’être résolu et la leçon de cette élection est qu’il faut innover. La révolution numérique imitera-t-elle la révolution industrielle ? Permettra-t-elle à un nouveau régime politique de voir le jour ? Il faut l’espérer.
L’élection de Donald Trump rappelle celle de Harry Truman en 1948. Tout le monde croyait que son rival républicain, Thomas Dewey, allait l’emporter, alors que c’est le contraire qui s’est produit. La presse s’est royalement trompée. Ce même scénario vient de se répéter. La presse n’a pas compris l’importance des meetings tenus par Trump : des foules immenses se déplaçaient pour l’entendre. Hillary Clinton a mené, quant à elle, une campagne plus traditionnelle avec des rassemblements de moins grande envergure. Le mouvement en sa faveur n’avait rien de comparable à celui qui a porté Trump à la présidence. Le retour à ces grandes foules rappelle un passé que l’on préfère oublier.
Il faut également être conscient du fait que, depuis trente ans, au moins, le Parti républicain sème la haine, la division, le racisme. Tout cela était un peu latent, mais Trump, avec ses meetings, a mis à feu aux poudres.
Dick Howard est professeur émérite à l’université Stony Brook (New York)
(Propos recueillis par Marc-Olivier Bherer)